“Nous voulons un système de retraites plus juste et plus lisible”

A quelques jours de la conférence sociale, Laurent Berger fait le point, dans L'Express, sur les grands sujets qui seront au cœur des échanges les 20 et 21 juin... sans faire l'impasse sur les retraites.

Quelle serait la réforme des retraites idéale selon la CFDT ?

Pour nous, il faut que ce soit la durée de cotisation qui soit le paramètre déterminant de l'ouverture des droits, plutôt que l'âge légal. C'est ce qui permettrait de répondre au problème des salariés ayant accompli des carrières longues, mais n'ont pas l'âge requis. Il faut par ailleurs réduire les inégalités entre les hommes et les femmes : la retraite moyenne de celles-ci est de 1 100 euros, quand celle des hommes est de 1 700 euros.

Vous ne revendiquez donc plus un changement radical et le passage à un système par points ?

Le fait de choisir la durée travaillée comme référence permet d'obtenir les mêmes résultats en termes de justice, de lisibilité et de libre choix que dans un système par points. Quelqu'un qui voudrait prendre sa retraite avec 38 ou 39 années de cotisation, alors que la durée exigée actuellement est de 41,5 ans, pourrait le faire sans condition d'âge en acceptant de toucher une pension moins importante. Il faudrait toutefois fixer des bornes minimales afin que personne ne puisse partir trop tôt avec une retraite sérieusement amputée.

La justice passe-t-elle aussi par un rapprochement du mode de calcul des pensions dans le public et le privé ?

La CFDT plaide pour une remise à plat des régimes de retraite, donc pour une réforme de fond. Nous voulons un système plus juste et plus lisible. Nous sommes favorables à un rapprochement des différents régimes, à condition de prendre en compte la spécificité des carrières et des structures de rémunération, ainsi que la situation des polypensionnés, de plus en plus nombreux, qui sont pénalisés du fait de leur mobilité professionnelle.

Quelles seront les lignes jaunes que la CFDT refusera de franchir ?

Le report de l'âge, parce que ce n'est pas juste, qu'il pénalise ceux qui ont commencé à travailler tôt. Une forte baisse des pensions. Une réforme qui se soucierait exclusivement d'équilibre budgétaire, sans tenter de résoudre les inégalités. Enfin, une réforme qui ne s'attacherait pas à réparer les questions de pénibilité.

Vous dites: pas de "forte baisse" des pensions. acceperiez-vous une "petite baisse" ?

Non, pas de baisse du tout. Sinon les gens n'auront plus confiance dans la retraite par répartition et seront tentés d'aller vers un système plus individualisé.

Donc, s'il y a une marge de négociation, c'est plutôt sur une moindre indexation des retraites sur les prix ?

Et sur une hausse des cotisations. Mais aucune de ces deux mesures n'est une revendication de la CFDT, aucune ne fait partie de notre réforme idéale. Il y a 20 milliards à trouver d'ici à 2020. Le rapport Moreau [chargé de proposer des pistes de réforme] lance la concertation et nous aurons ensuite trois mois et demi pour faire valoir nos positions.

Suffisant pour une vraie concertation ?

Si cela dure trois mois, de la conférence sociale (les 20 et 21 juin) à la fin de l'été, oui. Quand il a réuni les partenaires sociaux, le 22 mai, le Premier ministre nous a bien précisé que l'été se terminait le 21 septembre ! La CFDT dira si elle est d'accord ou pas, en fonction des sujets abordés et des mesures proposées. Elle n'a pas la volonté de signer en bas de la feuille car il s'agit d'une concertation et non d'une négociation.

N'avez-vous pas donné le signal de la désindexation en adoptant ce mécanisme pour les régimes complémentaires ?

Non, les partenaires sociaux gèrent ce système et ils ont pris leurs responsabilités pour qu'il n'aille pas dans le mur. Nous avons pris soin d'épargner les pensions les plus basses, c'est à remarquer même si cela reste insuffisant. J'assume cette signature.

Peut-on imaginer un front uni avec la CGT sur les retraites ?

La première question que nous nous poserons, c'est : que pensons-nous de la réforme ? Quel est le mode d'action adapté ? La CFDT trace son chemin en fonction de ses propres objectifs. Notre détermination et notre méthode paient. Il y aura des moments où nous parlerons avec les autres syndicats, sans ostracisme, mais nous ne nous laisserons pas imposer d'oukase. Il ne suffira pas que l'on nous siffle pour que l'on vienne. Avec la CGT, si nos propositions se rejoignent, on fera ensemble. Sinon, nous dirons nos désaccords, sans qu'il y ait rupture.

La journée du 19 juin marque-t-elle le début d'une action commune ?

Attention, cette journée prévoit un rassemblement à Paris, avec quatre [CFDT, CFTC, CGT, Unsa] des cinq membres français de la Confédération européenne des syndicats (CES) et la secrétaire générale de la CES, puis nous serons reçus par François Hollande à l'Elysée. C'est une quinzaine de mobilisations de la CES. Cela porte sur l'Europe, et uniquement sur l'Europe. C'est sur ce mot d'ordre-là que nous nous retrouverons, avec la CGT en particulier. Toute organisation qui voudrait faire du 19 juin autre chose ne serait pas respectueuse de l'engagement pris entre nous. D'ailleurs, nous n'allons pas à la conférence sociale avec une plateforme de revendications communes et nous n'avons pas prévu d'autres actions.

Cette conférence s'annonce plus compliquée qu'en 2012...

Un fort sentiment d'impuissance, qui n'existait pas l'année dernière, domine. Je crois qu'il faut donner un cap plus clair.

Sur le chômage, le pari de François Hollande d'inverser la courbe d'ici à la fin de l'année est-il tenable ?

Ça me paraît difficile de tenir ce délai. Mais le vrai sujet, c'est : comment fait-on pour que le chômage baisse ? Le problème n'est pas de savoir si tel ou tel a gagné son pari. On n'est pas en train de jouer. Il faut que la conférence sociale sonne la mobilisation générale contre le chômage.

Elle n'est pas déjà engagée ?

Aujourd'hui, il y a 5 millions de chômeurs. Et chaque mois, on a l'impression qu'on attend le mois prochain. Les emplois d'avenir ont du mal à trouver preneurs, les entreprises ne se précipitent pas sur les contrats de génération et la formation des chômeurs diminue. La mobilisation des acteurs n'est pas suffisante sur le terrain. Le gouvernement commence à remuer les préfets sur les contrats d'avenir, mais il doit aller plus loin. Il ne suffit pas de créer des outils, il faut mouiller la chemise ! Ça fait des mois que je dis que, sur l'emploi, on est trop atone, il faut se secouer !

Pôle emploi peut-il absorber la charge qu'on lui impose ?

C'est trop facile de taper sur Pôle emploi. La mobilisation est de notre responsabilité à tous. On estime à 250 000 le nombre d'emplois non pourvus. Comment proposer aux chômeurs des formations très souples, rapidement ? Sur les emplois d'avenir, il faut mobiliser fortement les collectivités locales. Souvenez-vous, lorsque les emplois jeunes ont été créés, et même s'ils n'étaient pas parfaits, ils ont été vendus sur le terrain par des "promoteurs"...

Faut-il ouvrir, comme le demande le patronat, une négociation "marché du travail 2" ?

Que le patronat se concentre sur la mise en œuvre de l'accord de janvier ! Le reste n'est pas à l'ordre du jour pour la CFDT. La seule chose qui manquait dans le premier volet, c'est la formation professionnelle, et notamment son accessibilité aux salariés les moins qualifiés. Elle figure au menu des 20 et 21 juin, même si tout le monde ne l'a pas souhaité.

Dans la future négociation sur l'assurance chômage, vous refuserez donc la dégressivité des allocations ?

A ceux qui défendent cette idée, je réponds : où sont les emplois que les chômeurs pourraient reprendre ? Les 250 000 emplois non pourvus dont je parlais à l'instant existent parce que l'on n'a pas anticipé, pas parce que les gens n'ont pas envie de travailler. Tant que le chômage est à ce niveau, il n'est pas envisageable de baisser les indemnités.

Etes-vous inquiet des positions patronales actuelles ?

Nous sommes dans un moment d'incertitude, puisque la patronne du Medef ne sera plus là dans un mois et demi. Mais il faut que le patronat assume ses responsabilités de négociateur. Ce serait un drame qu'il déserte le terrain du dialogue social ou considère que le social n'est qu'un sous-produit de l'économie. Ne revenons pas en arrière. Je souhaite que le prochain président ne soit pas dans cette logique.

Quelles propositions allez-vous faire sur le dialogue social ?

Nous allons pousser à la création d'une "contribution à l'adhésion syndicale" versée par l'employeur aux salariés. J'attends aussi que le président de la République confirme l'inscription du dialogue social dans la réforme constitutionnelle. C'est une de ses promesses. Il doit la tenir. L'accord emploi de janvier a montré que la méthode du dialogue social portait ses fruits.

Voilà six mois que vous êtes n° 1 de la CFDT. Quelle a été la bonne surprise de ces débuts ?

La bonne surprise, ça a été le bon résultat de la CFDT obtenu lors de la mesure de la représentativité syndicale et la fierté qu'en ont éprouvée les militants. C'est aussi la cohésion interne et le soutien qu'expriment les militants à mon égard.

Et la mauvaise surprise ?

Le manque d'idées dans ce pays. Il y a beaucoup d'inertie de tous côtés. Regardez l'opposition : elle passe son temps à faire des commentaires à la petite semaine, sur le fait du moment. Sans jamais mettre les sujets en cohérence.

C'est un travers que vous remarquez aussi dans la majorité ?

Oui. J'ai été le premier à dire, il y a un an, qu'au discours du "subi" et de "l'effort" il fallait substituer celui de "la mobilisation" et de "l'espoir". La conférence sociale doit être l'occasion d'un nouveau pas dans cette direction. Fixons un cap mobilisateur !

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